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Au point où il en est, il n'y a plus que l' humour - noir - qui l' empêche encore de mal tourner... LE MONDE !

La rencontre avec celui qui se cache dans le silence

Une rencontre (extrait d'un bouquin) :

Il y a une vingtaine d'années, peu après mon ordination, j'ai été envoyé avant Noël dans une maison de retraite. Une des dames pensionnaires - qui devait mourir plus tard à cent deux ans - est venue me trouver à l'issue de la première Liturgie que je célébrais en ce lieu. Elle m'a demandé :
- Mon Père, j'aimerais que vous me donniez quelques directives au sujet de la prière.
Comme je lui répondais de s'adresser à telle ou telle personne, elle me dit :
- Voilà des années que j'interroge là-dessus des gens qui ont la réputation de s'y connaître et jamais je n'ai pu en tirer une réponse sensée ! aussi ai-je pensé que, comme vous ne savez probablement rien sur la question, il se pourrait que vous me sortiez la bonne réponse.
C'était une entrée en matière encourageante !
Je l'interrogeai donc :
- Quel est votre problème ?
- Depuis quatorze ans, je récite presque continuellement la prière de Jésus et jamais je n'ai senti la présence de Dieu !
Tant bien que mal, je lui exprimai ma pensée :
- Si vous parlez tout le temps, vous ne laissez pas à Dieu la possibilité de placer un seul mot !
- Que dois-je faire ?
- Regagnez votre chambre après le petit déjeuner, mettez-la en ordre, placez votre fauteuil dans une position stratégique de telle sorte que vous tourniez le dos à tous les sombres recoins dans lesquels les vieilles dames fourrent tout ce qu'elles veulent dissimuler ; allumez la petite lampe devant votre icône et, pour commencer, prenez conscience de votre chambre. Contentez-vous d'être assise, regardez autour de vous et essayez de voir où vous vivez car je suis sûr que, si vous n'avez pas cessé de prier depuis quatorze ans, il y a longtemps que vous n'avez pas regardé votre chambre. Prenez ensuite votre tricot et, pendant un quart d'heure, tricotez en présence de Dieu, mais je vous interdis de prononcer un seul mot de prière ! Contentez-vous de tricoter et d'essayer de jouir de la paix de votre chambre.
Ce conseil ne lui parut pas spécialement spirituel mais elle s'y conforma. Au bout d'un certain temps elle revint me voir :
- Vous savez, ça marche !
- Qu'est-ce qui marche ? qu'est-ce qui se passe ? lui demandai-je, curieux de connaître le résultat de mes conseils.
- J'ai suivi exactement vos conseils. Chaque jour, après m'être levée, j'ai fait ma toilette, j'ai déjeuné puis regagné ma chambre ; je me suis assurée que rien n'était susceptible de m'inquiéter ; puis je me suis installée dans mon fauteuil en me disant : " O merveille ! je dispose d'un quart d'heure pendant lequel je puis ne rien faire sans avoir mauvaise conscience ! " J'ai parcouru ma chambre du regard et, pour la première fois depuis des années, je me suis dit : " Mon Dieu ! j'ai vraiment une jolie chambre : une des fenêtres donne sur le jardin ; la pièce est de proportions agréables, spacieuse et j'ai pu y mettre tout le mobilier que j'ai accumulé depuis des années. " Je me sentais toute paisible parce que ma chambre était si calme. On entendait le tic-tac d'une pendule mais il ne troublait pas le silence, au contraire, le silence s'en trouvait intensifié ; au bout d'un moment, je me suis rappelée que je devais tricoter en présence de Dieu, aussi ai-je pris mon tricot. Une conscience de plus en plus vive du silence me pénétrait. J'entendais le cliquetis des aiguilles contre le bras du fauteuil, le tic-tac paisible de la pendule ; rien ne me préoccupait, je n'avais pas besoin de me tendre ; soudain, je me suis aperçue que ce silence n'était pas simplement une absence de bruit mais qu'il avait de la substance. Il n'était pas l'absence mais la présence de quelque chose. C'était un silence dense, plein, qui m'envahissait. Le silence autour de moi, peu à peu, venait à la rencontre de mon silence intérieur.
Elle termina par une remarque très belle que je devais rencontrer plus tard chez Bernanos. Elle dit : " Tout à coup, j'ai pris conscience que ce silence était une présence. Au cœur de ce silence il y avait Celui qui est la quiétude, la paix, l'harmonie. "
Elle vécut encore une dizaine d'années et elle disait qu'il lui était toujours possible de trouver le silence lorsqu'elle était elle-même paisible et silencieuse. Cela ne veut pas dire qu'elle avait cessé de prier mais qu'elle pouvait garder pendant un certain temps ce silence contemplatif ; lorsque son esprit commençait à s'agiter, elle priait vocalement jusqu'à ce qu'il recouvre sa paix ; elle ne tardait pas alors à se retrouver plongée de nouveau dans le silence.
Nous pourrions très souvent faire la même expérience si, au lieu de vouloir à tout prix faire quelque chose, nous nous contentions de dire : " Je me trouve en présence de Dieu : quel bonheur ! ne bougeons plus ! " Vous connaissez certainement, dans la vie du curé d'Ars, le trait concernant le vieux paysan qui passait des heures à l'église, immobile et sans rien faire. Au prêtre qui lui demandait : " Que faites-vous pendant tout ce temps ? " il répondit : " Je L'avise et Il m'avise ! "
On ne peut atteindre à une telle prière que si on a pu accéder à une certaine qualité de silence. Il faut commencer par le silence des lèvres, le silence de la sensibilité, le silence de l'esprit, le silence du corps. Mais ce serait une erreur de croire qu'on peut commencer par la fin : le silence du cœur et de l'esprit. Il nous faut commencer par imposer silence à nos lèvres, à notre corps en apprenant à rester calmes, à nous détendre, à ne pas tomber dans la rêverie ou le laisser-aller ; il nous faut être, selon la formule de l'un de nos saints russes, comme une corde de violon accordée de façon à donner la note juste, une corde ni trop tendue au point de se briser ni trop lâche et capable seulement de vibrer. A partir de là, il nous faut apprendre à écouter le silence, à nous tenir dans une paix absolue : nous découvrirons peut-être alors et plus souvent que nous ne le pensons combien vraies sont les paroles qui terminent l'Apocalypse : " Je me tiens à la porte et je frappe. "

Ecrit par Cornelius, le Mercredi 5 Mai 2004, 23:02 dans la rubrique "1 - ZONE LIBRE".

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Commentaires

Chhhhhhtt.

Jeremi

Jeremi

11-05-04 à 12:35

Merci !